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MASSILIA SOUND SYSTEM "On met le oaï"

Interview de TATOU, membre fondateur du MASSILIA SOUND SYSTEM, recueillie par GERONIMO (RADIO FIL DE L'EAU 106.6 FM et CHRONIQUES SPONTANEES ) le 3 décembre 2000 peu après leur prestation à l'occasion du 25 ème anniversaire de la discothèque " Le Pied " à Monferran-Savès.

GÉRONIMO : Je suis actuellement en compagnie de membres du groupe MASSILIA SOUND SYSTÈM. Je vais vous demander dans un premier temps de vous présenter et de me dire quelle est votre fonction au sein du groupe.

TATOU : Moi, c'est TATOU. Je tchatche, je fais aussi de la musique. Tout le monde au sein du groupe a plein de fonctions. Ce n'est pas bien déterminé. Tout le monde fait un peu tout.

GÉRONIMO : Depuis quand existe MASSlLIA SOUND SYSTÈM ? Quelles ont été les différentes évolutions du groupe ?

TATOU : Grosse question ! Ça existe depuis 1984. Donc effectivement, ça a évolué... C'est surtout beaucoup de changement de personnel. Disons, même si le noyau dur est resté semblable, la formation qu'on utilise maintenant sur scène est très récente. Elle a un an.

GÉRONIMO : Toi-même, TATOU, tu fais partie de la formation originelle ou tu es arrivé en cours de route ?

TATOU : Non, non, j'étais là au tout début. C'est pour ça que j'ai la barbe: c'est l'âge! (rires)

GÉRONIMO : S'il y avait un morceau de MASSlLIA SOUND SYSTÈM qu'il faudrait retenir, lequel serait-ce ? Est-ce qu'il y a un morceau qui vous tient plus particulièrement à coeur plutôt qu'un autre ?

TATOU : Je pense au "Oaï", parce que c'est celui qui symbolise le plus notre esprit. Donc, sans aucun doute celui-là. Mais comme on fait des morceaux assez fonctionnels... Il yen a qui ne servent pas au même moment. Il y en a qui te servent pour foutre le oaï. . . II y en a qui te servent pour draguer les petites. . . Je prendrais plusieurs morceaux... Mais "Le Oaï" serait bien s'il fallait n'en choisir qu'un.

GÉRONIMO : La légende raconte que MASSlLIA SOUND SYSTÈM aurait produit le premier album de IAM... Qu'en est-il exactement ?

TATOU : Ce n'est pas une légende, c'est une réalité. Le premier album d'IAM s'appelle "Concept". Enfin, ce n'est pas MASSILIA, c'est le label de MASSlLIA, qui s'appelait "Roker Promocion", qui l'a produit.

GÉRONIMO : Est-ce que par la suite, il y a eu un renvoi d'ascenseur ? Je pense, par exemple, à la grande époque de " Je danse le Mia"... Est-ce que IAM vous a proposé de partager l'affiche, ou quelque chose comme ça...

TATOU : Non, parce que ce n'était pas... Cela n'a aucun intérêt pour nous. L'intérêt, c'est que l'on aie deux regards différents sur notre ville. C'est ça qui est intéressant justement : Marseille est capable d'avoir deux, trois, quatre, cinq groupes qui essayent d'exprimer son identité. Ce n'est pas intéressant d'être collés les uns aux autres. Au contraire.

GÉRONIMO : Justement, à ce niveau là, MASSlLIA SOUND SYSTÈM fait partie des groupes qui ont su transcender les chapelles. C'est-à-dire qu'en France, on a un petit peu l'impression que d'un côté, vous avez ceux qui sont branché "Variété Française", ceux qui sont branchés "Rap", et MASSILIA à cette particularité justement d'être assez bien accueilli bien sûr par le milieu Rap ou Raggamuffin, mais aussi par le milieu Rock. Vous êtes régulièrement chroniqués par des fanzines "Rock"... À quoi attribuez-vous cela ?

TATOU : Ben, c'est recherché. C'est fait exprès, parce que nous, notre truc, c'est de devenir des chanteurs folkloriques. Donc, par définition, il faut que l'on soit capable de chanter pour toute la communauté, pas simplement pour ceux qui portent des casquettes ou ceux qui... Donc, c'est pour ça que c'est comme cela. On le fait vraiment exprès. C'est un truc dont on est très fier d'ailleurs, d'avoir non seulement des gens qui viennent d'univers musicaux différents, mais même de générations différentes. C'est-à-dire que l'on est aussi très fier d'avoir des grands-mères et des petits-fils dans nos concerts. Je crois que c'est cela que l'on cherche, finalement. Dès que l'on fait une chanson, on cherche toujours à la fois à ce qu'elle plaise à nos mères et à nos enfants.

GÉRONIMO : Oui. Je constate que dans votre discographie, vous vous inspirez aussi souvent de la tradition, d'airs traditionnels. Je pense par exemple au morceau, sur votre dernier album, "Ai Companhs de Fin Amor". Quelle est votre relation avec la scène traditionnelle Occitane ?

TATOU : On travaille continuellement avec des groupes qui utilisent la tradition, des groupes de musique traditionnelle. Par exemple, on a un travail depuis très longtemps avec La TALVERA, un groupe du Tarn, qui apparaît sur notre disque. Nous, on a mixé le leur. C'est un truc qui ne s'arrête pas simplement à être invité sur le disque des uns et des autres. C'est un truc qui se passe toute l'année. On le fait aussi avec Les FABULOUS TROBADORS. On le fait aussi avec DUPAIN, GACHA EMPEGA... Je pense que tous ces groupes se sont réunis non pas sur une unité esthétique (on fait des choses très différentes), mais sur une unité de posture... "Qu'est-ce que l'on a envie d'être ? Quel type d'artiste, quel type de musicien on a envie d'être ?"... Tous ces groupes ont envie comme nous d'être des artistes folkloriques. Donc, fatalement, on se rencontre et on travaille ensemble. Surtout que l'on vient nous même d'une musique qui finalement est une musique traditionnelle et folklorique: le Reggae. Donc, on a d'autant plus de capacités à comprendre ces musiques là. Moi, je pense que je n'aurais pas connu le Reggae, je n'aurais jamais compris la Bourrée, par exemple. Je n'aurais jamais compris comment le type qui improvise une bourrée... Quelle est sa position. Je n'aurais jamais compris ça. Alors que là c'est très facile pour moi parce que évidemment, c'est pareil que le D.J. qui improvise sur sa face B de disque. C'est exactement la même chose, la même posture.

GERONIMO : Et vous-mêmes, vous aviez une culture plutôt ..Chanson Traditionnelle.. ou plutôt "Reggae", à la base ? Musicalement, qu'est-ce que vous écoutez ?

TATOU : Ben du Reggae, principalement, puisque c'est notre modèle de départ, notre source. Ensuite effectivement, on écoute. . . C'es toujours pareil, on écoute des gens qui nous semblent être dans la même recherche que nous. Donc, ça peut être des musiques très différente. Ça peut être des trucs très, très traditionnels, ça peut être aussi du Rap Hard-Core. Cela n'a pas tellement d'importance. Vraiment, l'important, pour nous, c'est à quoi ça sert, la fonctionnalité du truc, pourquoi ils font ça. Nous, c'est comme ça qu'on se place en tant qu'artiste, c'est ça qui nous intéresse. C'est cela que l'on recherche: ce sont les autres aussi.

GÉRONIMO : Je me souviens d'un duo étonnant entre MASSlLIA SOUND SYSTÈM et un groupe Italien, AFRICA UNITE, avec un morceau baptisé "Curtaglia". Comment a eu lieu la rencontre MASSILIA-AFRICA UNITE ?

TATOU : En fait, on a été très souvent jouer en Italie, et il se trouve qu'en Italie, par un phénomène assez rigolo, tout le mouvement Raggamuffin est dialectal. C'est-à-dire que dans chaque ville, les types tchatchent dans leur dialecte. Donc, ils ont assez bien accueilli MASSlLIA SOUND SYSTÈM, parce qu'il y avait déjà ce rapport avec nous. Et il se trouve aussi qu'en Italie, il y a une dizaine de vallées où on parle occitan. Ce qui fait que paradoxalement, o s'est retrouvé à être un peu un groupe Italien. C'est-à-dire que les journaux Italiens, quand ils chroniquaient le Raggamuffin... Il y avait MASSILIA SOUND SYSTÈM dedans. Donc, fatalement, on a connu tous les gens de la scène Reggae et Ragga là-bas. Et puis ça s'est fait comme ça. . . On s'est rencontré et très rapidement, ils ont eu cette idée de faire ce duo, ce morceau sur la Maffia.

GÉRONIMO : Je crois qu'AFRICA UNITE était sur "Sondage..... Vous n'étiez pas chez Bondage à une époque, vous aussi ?

TATOU : Oui, notre première distribution nationale s'est faite par Bondage.

GÉRONIMO : Ce n'est pas à cause de Bondage que vous avez rencontré AFRICA UNITE ?

TATOU : Non. En fait, c'est le contraire: c'est "à cause" de nous (rires)... qu'ils ont été distribués par Bondage.

GÉRONIMO : Sur votre avant-dernier album studio (avant-dernier véritable album studio, parce qu'il y a eu une compilation...), l'album ..Aïollywood.., vous vous inspiriez, vous pastichiez le cinéma à la sauce Américaine. là encore, je retrouve une similitude, si on peut dire, avec IAM... Je pense au morceau "l'empire du côté obscur"... C'est une simple coïncidence ou c'est un clin d'oeil à I'AM ?

TATOU : Ce n'est pas une coïncidence que l'Amérique soit super présente dans tout ce que l'on fait. Ce n'est pas du tout une coïncidence parce que finalement, c'est l'Amérique qui nous a sauvée du centralisme Français, que ce soit par le Rock'n'Roll ou après par le Reggae... La Jamaïque, c'est en Amérique aussi. Ils nous ont sauvés alors qu'on était englué dans tout ce trip de "Chanson Française" qui finalement ne nous sert à rien. Ce ne sont pas des chansons qui te soutiennent dans ta vie quotidienne. Donc, c'est vrai que l'on préfère le cinéma Américain au cinéma Français. Ils ont finalement la chance d'avoir une culture où on n'a pas coupé l'entrée populaire comme chez nous, c'est-à-dire que ce n'est pas un espèce de truc élitiste en bois, comme ici. Mais pour en revenir à "Aïollywood", c'était à la fois un pastiche de l'Amérique, mais aussi un hommage à l'Inde. C'était directement pompé sur "Bollywood", le Hollywood Indien à Bombay. Ça voulait dire cela. Ça voulait dire que chacun peut construire son propre Hollywood.

GERONIMO : En un sens, vous me dites que la mondialisation peut nous sauver du jacobinisme.

TATOU : l'Amérique et la mondialisation, ce n'est pas pareil, quand même! quand je parle de l'Amérique, je parle de ce qu'elle produit culturellement, je ne parle pas de ce qu'elle produit politiquement. Je n'ai aucun atome crochu avec aucun politicien Américain ! Ce n'est pas ce dont je parle! Ce que je m'aperçois, c'est... Enfin, je veux dire simplement qu'elle arrive à exporter de la musique de paysan, alors que c'est absolument impossible chez nous. Donc, on ne peut que lui rendre hommage d'avoir réussi à rendre mondial une musique de mecs qui ramassent du coton. Jamais cela ne serait passé dans la tête d'un de nos intellectuels centralistes. C'est impossible. Ici, pour les gens, la culture, ça peut être tout... Mais surtout pas des paysans qui la font, ni des ouvriers. Ce n'est pas possible. Non. Eux, ils n'ont pas le droit à la parole. Donc, c'est pour ça que l'Amérique nous sauve un peu. Parce qu'il se trouve qu'elle nous exporte des trucs comme ça qui nous secouent.

GÉRONIMO : Oui, votre chanson "On danse le parpanhas", c'est un peu tout ça, quoi...

TATOU : Oui. Mais même "les pilotis", même de mettre les deux-chevaux sur le... On peut faire des personnages de notre vie... Vraiment, on peut devenir des héros, on peut délirer sur eux. On peut délirer sur des trucs vrais. Quand on commence à délirer sur des trucs vécus qu'il y a à côté de chez toi, tu te sens vachement mieux que quand tu vies par procuration en délirant sur des trucs que justement t'amènent Hollywood ou TF1. . . C'est plus rigolo de délirer sur des trucs vrais, de délirer sur les filles de ton quartier ou sur le grand-père du coin. Ils peuvent devenir des héros.

GÉRONIMO : Vous cherchez chez Monsieur Tout-Le-Monde, en fait, votre source d'inspiration. Moi, j'aimerais revenir sur un point qui m'intéresse de MASSILIA, c'est votre prise de position vis-à-vis du Front National. Elle semble assez claire. Je pense par exemple au concert que vous avez donné en faveur du "Sous-marin"... Quels souvenirs en gardez-vous ?

TATOU : Il y a une histoire commune entre MASSIlIA et Vitrolles puisque l'on a très longtemps eu nos studios à Vitrolles. On est parti d'ailleurs le lendemain des "événements". Quels souvenirs tu veux en garder ? le problème, c'est que c'était un truc que l'on pressentait depuis tellement de temps et on disait à tout le monde "ça va arriver, ça va arriver". Et puis personne n'a rien fait pour que ça n'arrive pas. Ce qui est malheureux, c'est qu'on l'a laissée au Front National, cette ville. On peut dire... On lui a donné. Vraiment, les types qui y étaient avant lui ont donné. le maire socialiste qui était avant l'a donnée. Et puis finalement, il avait pas des idées très éloignées non plus, parce que c'est lui qui a fait mettre les caméras de surveillance. Toute la psychose des choses, elle avait déjà été installée avant même que n'arrivent les Mégret. Enfin, c'est triste. C'est triste parce que ce sont toujours les mêmes, les victimes. . . y compris les mecs qui ont voté pour le Front National qui, aussi, sont les victimes de ce truc là. Donc, voila. Après, je pense que ce n'est pas en interdisant le Front National que ça change quoi que ce soit. C'est en se positionnant tous les jours en face, en ne fuyant pas le débat, en acceptant de parler de ce qu'est l'identité, de ce que c'est d'être Français... En l'affrontant sur ses propres thèses... Ce que ne font jamais les hommes politiques, parce que ça les fait caguer.

GÉRONIMO : Juste une dernière question... Vous avez fini le concert de ce soir sur le morceau "Occitanin Hokin" Je ne sais pas comment le prononcer: à la française ou à l'occitane ?). Est-ce que vous savez que ce morceau sert d'indicatif à "Viure al païs" ici, sur Midi-Pyrénées ?

TATOU : Oui, on le sait. On est très, très fier. Il ne faut ni le prononcer à la française, ni à l'occitane, parce que c'est en arménien, en fait ! "Occitanin Hokin", ça veut dire "l'esprit Occitan"... Moi, je suis très fier que ce soit notre D.J. Arménien qui fasse un truc qui devienne représentatif de l'Occitanie. Je trouve ça très symbolique.

Droits réservés RADIO FIL DE L'EAU. CHRONIQUES SPONTANÉES et GUEULE DE BOIS

Propos recueillis par César et Jérôme pour CHRONIQUES SPONT ANEES / RADIO FIL DE L 'EA U 106.6 FM le samedi 21 Octobre 2000. Avec le concours amical du QUADRILLE DE GRENADE.

Vous pouvez aussi consulter le site www.chroniquespontanee.free.fr

www.massilia-soundsystem.com