Longtemps Indiana s'était adonnée à la levure avant de connaître la douceur d'un ver de terre noyé dans la mare où elle aimait à s'ébattre les jours de chaleur et les nuits de pleine lune, ces nuits glacées remplies de cris de pipistrelles papillonnantes qui étaient la particularité du quartier de la pâture. ce quartier avait d'ailleurs fait l'objet de rivalités entre les fouines et les surmulots avant de devenir la propriété exclusive de Denis le ver jusqu'à ce que celui-ci, porteur d'un poison méphitique, finisse taquiné du groin, humé, retourné, caressé, reniflé, aplati, étiré, extirpé, déterré, mordu, noyé, sucé, léché, aspiré, ingurgité, mâché , malaxé, compresse, écrasé, broyé, déchiqueté, anéanti, humecté, dégluti, digéré, ruminé et chié pour la plus grande prospérité d'Indiana découvrant le monde en prenant des kilos et le délivrant d'un lombric possessif qui, s'il n'avait jamais réellement sévi, s'était tout de même avéré un petit dictateur en puissance. A cette époque Indiana ne rêvait que de fouir librement et s'opposait désormais fréquemment à sa mère pour une racine, une coquille d'œuf, un coin où la boue était bien profonde et où son degré de viscosité était idéal, où elle vous rentrait dans les oreilles, encroûtait vos naseaux, se plaquait contre vos flancs palpitants et massait votre ventre pendant que vous ruminiez une vengeance contre votre mère qui vous avait mordu de dépit de se voir privée de la flaque convoitée et qui, était-ce un secret, fricotait misérablement avec les sangliers du bois, votre père étant parti depuis si longtemps cette fois, dans un gnouf d'explication. Marre voilà tout, papa reste, et puis il n'est plus là, votre mère vous rend responsable, le foin reste froid ; avant au moins, il revenait quelquefois ; ces poils noirs qui commencent à envahir votre panse, papa ne les reconnaît pas ; lui dont la graisse forme des poches sous une peau rosâtre, presque translucide à force d'être tirée, et dont les moustaches ne laissent pas d'ombre, comment pourrait-il se reconnaître dans cette pilosité sombre et rugueuse, comment aduler la créature du mensonge ? enfin il était parti. Et puis il y avait eu les chiens pendus à la vulve de sa mère et personne pour la défendre. Indiana n'avait jamais supporté son impuissance, et lorsque, quelque temps plus tard, il parut évident que son ratelier était extraordinairement développé , c'est avec bonheur et presque panique qu'elle s'initia au sproutchpaf en compagnie d'un pitbull africain dont le pays chantait -ah l'Afrique ! n'était-ce pas le paradis du soleil, des couleurs, des odeurs - pour qu'elle puisse venger sa mère, sa mère morte d'une indigestion de légumes, elle qui n'en mangeait jamais, et qui précisément choisit ce jour pour en manger des tonnes, en manger sans faim, pour manger, pour combler ce vide abominable qui la rongeait lorsqu'elle était en chaleur ; et les crises se faisaient de plus en plus fréquentes, les fréquentations de grillage ne suffisant plus, elle avait coutume de mordre sa fille jusqu'au sang depuis l'agression des chiens. Mais ce jour là, elle se mit à manger, à manger effroyablement, sans mordre, rien qu'en avalant, Maman arrête, je t'en prie, gnouf, gnouf, maman, ne fais pas ça, tu vas être malade, gnouf, gnouf. Elle en mangea jusqu'à tant qu'elle en crève, il y avait plein de navets, et pleins de citrons… et Indiana pourfendit Sandy d'un coup d'incisive, manquant la couper en deux.
To et Ny étaient dans le noir.
" Où suis-je ?
- Là.
- Je suis sur de belles feuilles !
- M'inquiète
- Bon, moi, fous-moi la paix
- Ma gueule.
- Sandy, malheur, que lui est-il arrivé ?
- Elle est pas mal, cette Heidi.
- Monstre ! Un funeste pressentiment m'habite.
- Restons correct.
- Chut ! On vient "
Y en assez ! Qu'on en finisse ! pensèrent les salsifis en voyant qu'Indiana s'y prenait toujours de la même manière pour trancher ses victimes. Les pousses sont fatiguées, y a arrosage demain. Ce cochon est aussi imbécile que sa maîtresse. "
Les scientifiques envoyèrent un signal de réprobation et finalement, Heidi consentit à mettre fin au sacrifice après qu'Indiana eut bien dévoré tous les salsifis rebelles. Elle-même était pressée d'aller goûter les joies d'une hybridation avec le beau navet ou ce qu'il en restait. Tout le monde rentra chez soi, tandis qu'on enfermait le citron éventré dans un tumulus en prévision de la prochaine attaque des huîtres.
Heidi regagne sa taupinière en hâte, passa au brumisateur, frisa ses larges feuilles, dilata son cœur craquant et se fit conduire à la cellule du prisonnier.
" Va, je ne hais point, lui dit-elle. Et même je te rends ta liberté pourvu que tu me radicules.
- Pas question, dit To.
- D'accord, dit Ny.
- Je suis fiancé à Sandy et ne saurais radiculer une autre, et d'abord où est -elle ? dit To.
- Hé, ne m'écoute pas. T'es super radiculante. Libère Sandy. Je veux une carte et deux hannetons et je vais te faire la totale-radicule, tu vas être complètement fané, gros légume, dit Ny.
- Je suis devenu complètement fou ! Vais-je me taire ! dit To.
- Quand pousserai-je donc ! Quand regarderai-je la végétation en face ! dit Ny.
- Mais qu'est-ce qu'il me dit ! s'écria Heidi, c'est ton citron qui te turlupine, c'est ca ? Alors moi je ne compte pas pour toi, c'est ça ? Hé bien on va voir si tu ne changes pas d'avis. Qu'on aille chercher José ! "
José était le bourreau de Christophe, mais il farfouillait depuis longtemps déjà dans les feuilles d'Heidi et lui rendait bien des services. C'était une patate douce hérissée de germes préhensiles. Elle arriva bientôt , munie de tous ses instruments.
" Tu m'as demandé, maîtresse ?
- Oui, mon bon José. Ce navet ne veut pas de mes feuilles. Torture le pour qu'il change d'avis.
- Ce navet est bien impudent de résister à tant de grâce et d'acrimonie. nous allons faire le nécessaire pour te satisfaire. "
Les salsifis de la suite d'Heidi ne purent s'empêcher de frissonner. José était un amant jaloux. Il prenait pour argent comptant les injures faites à sa maîtresse, et de toute façon, n'avait aucun intérêt à laisser un rival en état de faire ce qu'on attendait de lui. Il s'approcha, plein d'une jubilation malsaine, sortit une épingle à nourrice rouillée de sa besace et l'enfonça dans le corps du navet jusqu'à la garde. To rendit un jus foncé.
" Oh ! Le pauvre ! Non, ne lui fais pas mal ! ", dit Heidi tandis que Ny demeurait stoïque.
Puis José sortit un bout de fil de fer et se mit à en racler Ny en y laissant de profonds sillons.
" Pas trop fort ! pas trop fort ! Que de jus ! Comme il souffre ! " se lamentait Heidi.
" Maîtresse, il vaut mieux que tu remontes, maintenant, laisse faire José.
-D'accord, d'accord ", dit Heidi qui se soutenait à peine et fut portée sur son lit de paille.
Alors l'enfer n'eut plus de nom. Il est certaines atrocités qu'il serait obscène de rapporter. Il y a dans la vie des légumes des moments tragiques, des épreuves qui font frissonner les plus braves, qui font hurler jusqu'à la plus petite nervure et s'inscrivent à jamais dans la pulpe. Pendant un temps qui finit par perdre toute substance, To et Ny fut la proie des charançons, pucerons, chenilles, escargots, limaces, huile de vidange, mildiou, sécheresse et pisse de lézard. Mais à aucun moment José ne parut entendre qu'il criait presque depuis le début :
" D'accord, je vais radiculer Heidi !
- D'accord, je vais radiculer Heidi ! "
Heidi vint voir Tony plusieurs fois, mais il n'était déjà plus en état de parler. Elle s'impatientait ? Maintenant, elle trouvait que José n'allait pas assez loin, lui faisait porter des consignes dès qu'elle avait une idée amusante.
Bientôt sa rage ne connut plus de borne. José réussit subtilement à la détourner sur Sandy qu'il présenta comme un obstacle majeur à la réussite de sa mission.
" Etouffe-la, ce sera plus drôle, suggéra Heidi, et rendons-la à son cher fiancé. "
A suivre (????)
Poulpos - Laurent