retour au sommaire  n°43

ROCK FRANCAIS... LE DEBAT

L'étiquette "Rock Français" est très controversée, car appliquée à des artistes trop souvent victimes du syndrome typiquement hexagonal de "variété". Ce terme, employé régulièrement de manière péjorative, n'existe pas dans les pays anglo-saxons. Chez nos amis Américains ou anglais, l'on distingue simplement la "rock-music" (soit le rock le plus radical, s'adressant généralement à un public averti), de la "pop-music", au sens strict du terme, la musique populaire, soit le rock dans sa version un peu édulcorée , donc théoriquement accessible à un plus large public. Après, ce n'est plus qu'une affaire de goût. Le fait est qu'en France, la "variété", la "musique populaire" telle qu'on la conçoit depuis les années soixante, est le résultat d'un amalgame plus ou moins heureux de la chanson Française proprement dite et du rock anglo-américain. Dés lors, l'étiquette "Rock Français" est fondamentalement subjective, car elle ne repose pas sur un critère strictement musical ; le "Rock Français" se définit par opposition à la "Variété" : est "Rock" ce qui n'est pas "Variété" ; là encore, la suite n'est qu'une affaire de goût : libre à vous de faire de l'une ou de l'autre de ces notions un critère de qualité ("Le rock c'est cool, la variété c'est de la merde" ou vice-versa). Comment dès lors reconnaître un chanteur "de rock" d'un chanteur "de variété" ? Le plus simple est encore de s'inspirer du modèle anglo-américain, en étiquetant "rock" les groupes les plus radicaux, et en définissant la "variété" comme l'équivalent de la "pop" anglo-américaine. Bien. Le dilemme est que, d'un point de vue strictement musical, il n'y a pratiquement pas de différence entre la "pop" et le "rock" ; donc, si on applique à la chanson anglophone le principe "pop" = chanson "grand public" (sous entendu par opposition au jazz et à la country) et "rock" = chanson "marginale", no problem. En revanche, en France, si l'on admet le terme générique de "variété" pour la chanson "grand public", les choses se compliquent dans la mesure où, contrairement au modèle anglo-saxon, et comme son nom l'indique, la "variété" n'a pas une base musicale homogène : en dehors de leur popularité respective, il n'y a pas beaucoup de points communs entre Johnny HALLIDAY, Georges BRASSENS, Alain BASHUNG, Mylène FARMER, Serge GAINSBOURG, Céline DION, Jacques DUTRONC, ZEBDA, Charles AZNAVOUR, INDOCHINE, Florent PAGNY, Claude NOUGARO, Stephan EICHER, Francis CABREL, MANAU, Jean Jacques GOLDMAN, Etienne DAHO, LOUISE ATTAQUE, Jacques BREL, RENAUD, les RITA MITSOUKO, ou Mike BRANT . Opposer, en France, la variété au rock, cela revient à mettre dos à dos les système commercial et les indépendants ; donc, suivant ce principe, BERURIER NOIR, GOGOL, les PARABELLUM sont "rock" parce que "indés", tandis que Johnny HALLIDAY, Alain BASHUNG et jean Jacques GOLDMAN font de la "variété" parce qu'ils appartiennent à une grosse maison de disques. OK. Mais alors, doit-on aussi étiqueter "rock" toute initiative musicale indépendante en France ? Ce serait ridicule. La notion de "rock" perdrait toute objectivité accolée à un quelconque groupuscule rap, DJ-techno ou chanteur néoréaliste. Même au sein du système "indépendant", il faut tout de même des critères musicaux objectifs pour déterminer qui est " rock " et qui ne l'est pas, sans qu'il y ait une quelconque connotation péjorative dans un cas comme dans l'autre. Donc, est "rock" en France tout groupe ou chanteur qui fait de la musique rock et qui n'a pas une démarche commerciale flagrante … En gros, qui joue pour le "fun" … Le paradoxe, c'est que ceux qui prônent ce mode d'étiquetage pour les groupes hexagonaux ne voient aucun inconvénient à étiqueter "rock" des groupes étrangers éminemment populaires tels, suivant les époques, LED ZEPPELIN, OFFSPRING, PINK FLOYD, AC/DC, les ROLLING STONES, SEX PISTOLS, OASIS, GUN'N'ROSES, U2, SCORPIONS, MIDNIGHT OIL, METALLICA, les BEATLES, Bob DYLAN ou NIRVANA … En résumé, pour eux, un groupe de rock français réellement populaire, cela ne peut pas et ne doit pas être : au delà d'un certain quota de disques vendus, disons 100 000 exemplaires d'un même album, le groupe incriminé rejoint la grande famille du "show business" (salauds ! vendus !). dessin

Il faut arrêter la paranoïa, là ! car, sous prétexte d'intégrité, cela revient a faire de la xénophobie à l'envers vis à vis des groupes Français ; admettons que certains groupes ou chanteurs, tels LOUISE ATTAQUE, Alain BASHUNG, INDOCHINE, les RITA MITSOUKO ou Johnny HALLIDAY (pour prendre un cas extrême), sous prétexte que leur musique n'est que vaguement apparentée au rock et qu'ils vendent beaucoup de disques, soient étiquetés " variété ". Mais alors, cela est également valable pour NOIR DESIR (maison de disque : Barclay/Polygram … bonjour l'indépendance), TELEPHONE (Virgin/EMI), TRUST (Sony), bref, des groupes qui chantent en français, dont personne ne songe à contester l'appartenance à la " rock music ", et qui sont malgré tout de (très) gros vendeurs de disques ! On peut encore citer les éminemment commerciaux DOLLY, NO ONE IS INNOCENT, CANDIE PRUNE, FFF, LOFOFORA, ASTON VILLA, SILMARILS, sans oublier ceux qui, sans changer un iota à leur musique ont quitté le système indépendant pour une major : MANO NEGRA, les SATELLITES, les WAMPAS, les PORTE-MENTAUX etc … D'ailleurs, reste-t-il encore aujourd'hui en France une maison de disque réellement indépendante. Franchement, ceux qui veulent strictement cantonner le " rock français " aux seuls indépendants font preuve d'une évidente mauvaise foi (vis à vis de la langue, peut-être sommes-nous encore victime du syndrome " l'anglais = le latin du rock ? ").

Non. Si l'on doit définir en France le rock par opposition à la variété, il convient de ne pas se borner à opposer les commerciaux aux indépendants (merde, quoi ! on parle musique ou pognon ? ). Alors, lorsque la musique peut prêter à confusion, qu'est-ce qui fait que l'on différencie un groupe de rock d'un chanteur de variété ? Déjà, on dit souvent " un chanteur de variété " et un " groupe de rock " : la notion de groupe garantie une certaine stabilité musicale ; un chanteur solo peut à son gré changer ses musiciens, donc explorer d'autres horizons musicaux (d'où " variété ", ici au sens individuel du terme). Outre l'aspect strictement musical, ce qui fait la différence, c'est la démarche : cela peut-être effectivement le choix de l'intégrité vis à vis du système commercial, mais également l'engagement pour une cause ou simplement l'originalité artistique … En bref, le refus, dans un sens ou dans l'autre, de rentrer dans le rang. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faut sombrer dans la caricature : NOIR DESIR, LOUIS ATTAQUE ou ZEBDA sont aujourd'hui de gros vendeurs de disques. Pourtant, on ne peut pas dire que leur démarche soit strictement commerciale. Sans aller jusqu'à dire que leur popularité est un accident de parcours, il faut admettre que chez eux, l'aspect artistique prime sur le reste. Si l'on conserve les trois exemples précédents, l'on admettra que NOIR DESIR fait l'unanimité, groupe indéniablement " rock " par sa musique, mais aussi par sa démarche (boycott du show-business, prise de positions pour diverses causes …) ; en revanche, la musique de LOUISE ATTAQUE ou celle de ZEBDA peut être prétexte à polémique : en quoi sont-ils " rock " ? LOUISE ATTAQUE est à l'initiative d'une musique festive, mâtinée d'influences folk-celtique, mais jouée comme du rock, même s'ils n'utilisent pas de guitare électrique : en bref, une musique originale, à contre-courant, à l'époque de leurs débuts, de ce que le " show business " proposait au grand public. Donc, LOUISE ATTAQUE a été bien accueilli par le milieu " rock " en raison de leur originalité et, indirectement, pour leur démarche artistique flagrante (l'aspect commercial n'étant pas à priori leur credo). Le cas de ZEBDA est encore plus complexe, tant leur musique est éloigné du rock, tel qu'on le conçoit : là encore, c'est originalité et leur intégrité qui leur ont valu d'être bien accueilli par le milieu " rock " ; leur musique, de toute façon, ne s'apparente pas davantage à la variété de l'époque, pas plus qu'au raï, au raggamuffin, à la new-wave, à la musique " latino " ou au rap … Ils ont en outre bénéficiés à leurs débuts, en raison de leurs influences multiples justement, d'une comparaison abusive avec la MANO NEGRA (groupe, encore une fois, à l'initiative d'une musique originale et festive, parfois très éloignée du rock au sens strict du terme … Mais issus de la vague " alternative ", et bien qu'ayant signés pour un " major ", ils ont toujours été bien accueillis par l'intelligentsia rock … C'est encore le cas pour la carrière solo de leur ancien chanteur, Manu CHAO, dont la musique n'a plus rien à voir avec le rock). Bref, une démarche originale (pas forcément marginale) peut parfois suffire pour être apparenté au " rock ". Dans les années 80, au grand dam des puristes, beaucoup d'artistes " new wave " l'ont étés : TAXI GIRL, Etienne DAHO, MARQUIS DE SADE, ELLI et JACNO, INDOCHINE, ainsi que d'autres, souvent aux influences multiples, encore une fois d'originalité flagrante : Alain BASHUNG, les RITA MITSOUKO, Charlélie COUTURE, Hubert Félix THIEFAINE etc … On peut encore ajouter deux cas particuliers, Serge GAINSBOURG et Jacques DUTRONC, chanteurs notoires depuis les années soixante, qui, suite à leurs excès, ont été à partir de la fin des années 70 crédités d'une certaine aura " rock " ! encore une fois, ces derniers sont loin de faire l'unanimité …

En bref, en dehors des rockers " indépendants ", nous sommes enclins à étiqueter " rock " ceux dont le grand public et la presse rock veulent bien reconnaître comme tels. Pour ceux qui souhaitent poursuivre le débat, je ne saurais trop leur recommander de se procurer l'excellente " DISCOGRAPHIE DU ROCK FRANÇAIS 77-97 " éditée par l'association " Euthanasie " (BERRUE David, 1 rue de la garenne, 41000 BLOIS), notre référence en la matière. Les principaux groupes répertoriés sont : ASPHALT JUNGLE, BERURIER NOIR, les CADAVRES, CYCLOPE, DOGS, les GARCONS BOUCHERS, GOGOL 1er et la HORDE, les HAPPY DRIVERS, La SOURIS DEGUINGLEE,, LITTLE BOB STORY,, LOFOFORA, LUDWIG VON 88, MANO NEGRA, MARQUIS DE SADE, METAL URBAIN, NOIR DESIR, NO ONE IS INNOCENT, OBERKAMPF, OTH, SHERIFF, SLOY, PARABELLUM, les SATELLITES, les THUGS, TREPONEM PAL, TRUST, les WAMPAS etc .. Parmi les plus " commerciaux ", cette discographie va jusqu'à référencer des groupes aussi divers que les ABLETTES, ANIMO, BIJOU, BILLY ZE KICK, les CALAMITES, DOMINIQUE A., ELLI et JACNO, ELMER FOOD BEAT, GAMINE, INDOCHINE, les INFIDELES, les INNOCENTS, JAD WIO, KAT ONOMA, les NEGRESSES VERTES, les RITA MITSOUKO, SHAKIN' STREET, STARSHOOTER / KENT, TAXI GIRL, TELEPHONE / AUBERT / BERTIGNAC, les VRP ou ZEBDA. dessin didier

En ce qui concerne les " précurseurs ", c'est à dire les groupes d'avant 77, jugés par les auteurs de cet ouvrage comme appartenant à une époque où la notion de " rock français " était différente de celle telle qu'on peut la concevoir aujourd'hui (en gros, pour eux, le rock français n'a réellement acquis ses lettres de noblesses qu'aux alentours de 1977 … L'avant 77, à quelques exceptions près, c'est de la variété … Autre débat en perspective …), je serais enclin à accorder un certain crédit à des artistes que, de toute manière, le grand public assimile au rock français, tels Johnny HALLIDAY, Eddy MITCHELL et les CHAUSSETTES NOIRES, Dick RIVERS et les CHATS SAUVAGES, VARIATIONS, ANGE, TRIANGLE, ANTOINE et les PROBLEMES, Ronnie BIRD, Noël DESCHAMPS, Gérard MANSET, mais aussi, pour certaines périodes, Michel POLNAREFF, Serge GAINSBOURG et Jacques DUTRONC. Pour les chanteurs contemporains de cette fameuse discographie, et parmi ceux, qui à mon sens, auraient également mérités d'y figurer, je citerais dèjà les lauréats du " Bus d'Acier " (grand prix du " rock français ", attribué en France par les médias entre 1981 et 1994), à savoir Alain BASHUNG (81), Charlélie COUTURE (82), Etienne DAHO (85), Stephan EICHER (86 ; hum ! là, effectivement, j'ai quelques scrupules à cataloguer " rock français " l'œuvre de Stephan EICHER … Mais, bon ! ne soyons pas sectaires !), Paul PERSONNE (91) et FFF (93), d'autant que tous les autres lauréats sont répertoriés : NOIR DESIR, Lizzy MERCIER-DESCLOUX, INDOCHINE, KAT ONOMA, BERURIER NOIR, les INNOCENTS, RITA MITSOUKO, MANO NEGRA, et CARTE DE SEJOUR. A ceux-là, j'ajouterais en raison de sa démarche artistique originale, Hubert Félix THIEFAINE. Par la suite, on peut ouvrir le d ébat pour savoir si l'on crédite également " rock " des artistes aussi divers que NIAGARA, Jean Patrick CAPDEVIELLE, RENAUD, Jacques HIGELIN, Plastic BERTRAND, Bernard LAVILLIERS, Jean Jacques GOLDMAN ou Patrick COUTIN. Pour illustrer mes propos, je vous invite à vous procurer le Rock & Folk n° 364, du mois de décembre 97 (en couverture : Etienne DAHO), avec un débat sur le " rock français ", citant pêle-mêle DOLLY, NOIR DESIR, les THUGS, les SHERIFF, RENAUD, Jacques HIGELIN, Dick RIVERS, MIOSSEC, Johnny HALLIDAY, les FRENCHIES, Michel POLNAREFF, VARIATIONS, LITTLE BOB, Les DOGS, MANO NEGRA, Les RITA MITSOUKO, TRIANGLE, BERURIER NOIR, Les NEGRESSES VERTES, FFF, TELEPHONE, INDOCHINE, BIJOU, MARQUIS DE SADE, EXTRABALLE, JAD WIO, etc … ) et le n° 354 (février 97), avec une interview d' Etienne DAHO ainsi qu'un répertoire de soixante groupes " dans l'actualité 97 ", incluant ARNO, jean Louis AUBERT, Alain BASHUNG, DOMINIQUE A, KENT, MASSILIA SOUND SYSTEM, MIOSSEC, Les RITA MITSOUKO, SINCLAIR, Les TETES RAIDES et ZEBDA pour ne citer que les plus controversés.

L'éternel débat " rock ou variété ? " est plus que jamais ouvert. Il ne tient qu'à vous de donner votre opinion à ce sujet. A bon entendeur, salut !

Max & Géronimo